Voyage sensoriel entre mer et schiste : les singularités des vins de Collioure

30/05/2025

Un vignoble de caractère, suspendu entre bleu et ocre

Impossible d’évoquer Collioure sans parler du choc visuel qu’offrent ses vignes, accrochées à flanc de coteaux abrupts, plongeant littéralement dans la Méditerranée. Les terrasses de schistes sombres, parfois centenaires, épousent la courbure du relief, charriant le soleil et la tramontane. Ici, la culture de la vigne n’a rien d’une évidence. Elle relève de la prouesse, d’un entêtement paysan, d’une poésie rude. Sur à peine 600 hectares, l’AOC Collioure voisine de près avec son aînée, Banyuls, mais écrit une partition bien à elle, vibrante de tanins et de fraîcheur saline.

Quand le schiste sculpte le vin : le terroir, colonne vertébrale de l’AOC Collioure

Le schiste est roi et la mer n’est jamais loin. Ce substrat bleu-gris, issu de la fracturation des Pyrénées, focalise et restitue la chaleur aux racines tout en gardant une grande fraîcheur la nuit. L’enracinement profond demandé par ces terrains pierreux oblige la vigne à s’adapter, à produire peu, concentrant la sève et la matière. Selon la géologue Magali Brochot (Conférence Estagel, 2019), la dominante schisteuse confère aux vins de Collioure une typicité fumée et minérale très singulière en Roussillon.

  • Altitude moyenne des parcelles : majoritairement entre 100 et 350 mètres, ce qui influence la structure des vins.
  • Ensoleillement : +3000 heures/an, un des plus hauts de France (source : Météo France, climatologie Banyuls-sur-Mer).
  • Pluviométrie : faible (650 mm/an en moyenne) mais orages parfois violents.

Ce duo schiste/océan accouche de vins puissants, vibrants, mais jamais écrasants. La trame est fine, et laisse percer des notes iodées, parfois de graphite, surtout dans les rouges.

Rouges, blancs, rosés : la palette Collioure en détail

Les rouges : force et élégance méditerranéennes

Fleuron de l’appellation, le Collioure rouge représente environ 75% de la production. On y retrouve trois cépages maîtres :

  • Grenache noir (majoritaire, 50 à 70% selon le domaine)
  • Syrah (apportant couleur, épices, trame tannique)
  • Mourvèdre (toujours en appoint, pour la structure et la garde)

Quelques anecdotes de vignerons, comme Pierre Gaillard ou la Cave de l’Abbé Rous, rappellent que le grenache peut même dépasser 90% dans les vieilles vignes plantées dans les années 1940-1950 – témoins de la résistance des ceps à la chaleur et au vent.

Leur robe est dense, pourpre. Au nez, les fruits noirs confiturés voisinent avec le cuir, la garrigue, la tapenade, le laurier, parfois une touche fumée, presque giboyeuse. En bouche ? Un enrobé chaleureux, mais une finale fraîche, minérale, saline. Cette dichotomie surprend, conjuguant ampleur et tension, écho du paysage.

Les blancs : secrets iodés à découvrir

Ils ne représentent qu’à peine 8% de la production (source : CIVR, 2022) et sont très recherchés. Il s’agit souvent de vins confidentiels : du grenache blanc ou gris, du vermentino, un soupçon de macabeu. Leur nez se développe souvent sur la fleur d’aubépine, le zeste d’agrume et même, à l’évolution, une touche saline.

  • n°1 – Grenache blanc : structure et rondeur, notes de pâte de coing, d’amande grillée.
  • n°2 – Vermentino : élégance citronnée et floralité, tension en bouche.

A table ? Ces blancs s’accordent à merveille avec les poissons grillés, évidemment, mais aussi des plats plus osés : daurade au fenouil sauvage, rouget rôti, fromages à pâte dure ou même un chèvre affiné des Aspres.

Les rosés : entre fraîcheur et corps

Souvent issus de saignées, ils affichent une couleur bien plus soutenue que la moyenne des rosés français. Les Collioure rosés sont structurés, puissants, mais gardent des notes d’herbes sèches, de cerise, d’épices douces. Ils supportent la table, voire la garde sur 2 ou 3 ans, ce qui reste rare pour un rosé.

  • Idéal sur une parillada de la mer ou une tapenade d’olives noires.

Des hommes, des femmes, et une histoire jamais figée

Le Collioure n’est ni un terroir figé ni une appellation-mémoire. Depuis son AOC (1971, pour les rouges ; 2003 pour les blancs et rosés), le vignoble a vu arriver une nouvelle garde de vignerons, s’inspirant du passé tout en modernisant l’expression du fruit et de la fraîcheur.

  • Famille Parcé (Domaine de la Rectorie, initiatrice du style Collioure parcimonieux, élégant, sans surextraction.)
  • Pierre Gaillard (venu de la Vallée du Rhône, implanté à Banyuls-sur-Mer, accordant une place inédite à la Syrah)
  • Cave de l’Abbé Rous (La référence coopérative, gardienne de cuvées patrimoniales et accessible à toutes les bourses)
  • Domaine Augustin (travail en biodynamie, très faible intervention, cuvées “hors-normes”)

L’enjeu actuel ? Jongler avec le réchauffement climatique (deux vendanges sur trois en septembre dans les années 2000, contre une sur six dans les années 1970, source : FranceAgriMer 2021), et préserver les vieilles vignes, essentielles à la typicité de l’appellation.

Entre traditions et innovations : pratique de la vigne et du chai

  • Vendanges majoritairement manuelles sur ces pentes escarpées (certaines à plus de 40% d’inclinaison ! Source : Terre de Vins).
  • Soufre limité, élevages parfois en œufs béton ou demi-muids de chêne français.
  • Certaines parcelles non mécanisables sont travaillées à la pioche, voire avec l’aide de mules catalanes.
  • Les rendements sont parmi les plus bas de France : autour de 28 hl/ha pour les rouges. Pour comparaison, la moyenne nationale est de 45 hl/ha (selon les données INAO 2022).

Quelques domaines s’essaient même à la vinification sans ajout de sulfites, créant des cuvées de Collioure “nature” qui conservent pourtant la colonne vertébrale et l’aromatique unique du terroir.

Accords mets & vins : le Collioure à table

Impossible de parler de ce vignoble sans évoquer ses complicités à table. Parce qu’ici, vin rimera toujours avec cuisine du soleil et produits de la mer.

  • Rouges jeunes : côte de veau catalane, grillades de taureau, agneau confit au thym, pigeonneau rôti aux olives noires.
  • Rouges évolués : civet de sanglier, fricassée de champignons sauvages, fromages vieux (Pébre d’Ail, vieux Cantal).
  • Blancs : oursins, bouillabaisse, supions farcis, sardines grillées au feu de bois.
  • Rosés : anchois de Collioure sur toast, salade catalane, paëlla fruits de mer, charcuterie ibérique.

Petit clin d’œil : la fameuse anchois de Collioure (IGP, Maison Roque ou Desclaux), miraculée de la surpêche, est une passerelle parfaite vers les rosés – l’umami de l’anchois sublimé par la vivacité du vin.

Adresses et expériences à vivre à Collioure et autour

  • Domaine de La Rectorie : pour une dégustation au sommet, face à la baie, sur les traces des frères Parcé.
  • Cave de l’Abbé Rous : parcours oenotouristique, visite des chais à foudres centenaires.
  • Le Neptune : table d’auteur où le chef Christophe Comes fait danser poissons de la criée et Collioure blancs.
  • Domaine Augustin : immersion nature, vinification naturelle, ceps tordus par les vents et l’Histoire.
  • La Balette** (2 étoiles Michelin) : déclaration d’amour aux produits locaux, cave renversante.
  • Le circuit des oratoires : balade à pied à travers les vignes accrochées au schiste, vue imprenable sur les Pyrénées et la Méditerranée.

N’hésitez pas à pousser la porte d’un caveau, même modeste, pour saisir la générosité typique des vignerons de Collioure : l’accent chante, les mains racontent la pierre.

Pourquoi les vins de Collioure sont-ils inimitables ?

Le secret réside dans le mariage entre un terroir extrême et une main humaine inventive, forgée par le climat rude. Le Collioure, ce n’est ni le rouge bodybuildé du Sud, ni la légèreté d’un rosé d’apéritif : c’est la quintessence du contraste, entre puissance et minéralité, entre fruits mûrs et fraîcheur maritime, entre tradition séculaire et audace de la nouvelle génération.

  • Une production minuscule (seulement 20 000 hl/an selon le CIVR, 2022).
  • Un rapport à la matière et aux cépages qui privilégie l’expression du sol au détriment de la facilité.
  • Une convivialité authentique, jamais compassée, héritée de la mentalité catalane.

Collioure, c’est ce vin de partage, de soleil, d’amitié, qui porte haut les couleurs du Roussillon tout en conservant une identité à part, balafrée par les vents et la rocaille, caressée par le sel, éblouissante sous la lumière.

Pour aller plus loin, ne ratez ni leurs fêtes vigneronnes ni les marchés de producteurs : goûtez, échangez, imprégnez-vous. Derrière chaque bouteille, il y a un pan de paysage et une histoire à raconter.

Sources : CIVR (Comité Interprofessionnel des Vins du Roussillon), INAO, Météo France, Terre de Vins, conférence “Les sols du Roussillon” de Magali Brochot, FranceAgriMer, entretiens avec vignerons de la région.

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