Côtes du Roussillon & Côtes du Roussillon Villages : l’identité plurielle des vins du Sud

24/05/2025

Le Roussillon entre deux AOC : un puzzle de paysages, un kaléidoscope de goûts

Au sud du Languedoc, adossé aux Pyrénées, le Roussillon cultive un art du mélange. Entre mer et montagnes, ici la vigne pousse sur ce que la géologie offre de plus varié : schistes noirs, granits, argiles rouges, galets roulés. Ce terreau, fruit d’une histoire géologique mouvementée autant que d’un climat rude, est à l’origine d’une mosaïque de vins, où deux grandes AOC tiennent le devant de la scène : Côtes du Roussillon et Côtes du Roussillon Villages.

Dans la mémoire collective – et sur les cartes des meilleurs bistrots à vin –, la différence entre ces deux appellations paraît floue. Pourtant, derrière l’appellation générale et sa déclinaison “Villages”, il y a toute la subtilité d’un territoire, son énergie brute, son inventivité, leur supplément d’âme. Explorer cette nuance, c’est plonger dans la richesse du Roussillon et donner un nouveau relief à chaque gorgée.

Origines, géographie, identité : quand l’appellation dessine la carte

Côtes du Roussillon : l’immense terrain d’aventure du vignoble

L’AOC Côtes du Roussillon, créée en 1977, s’étend sur près de 118 communes du département des Pyrénées-Orientales, recouvrant environ 5 300 hectares (source : Conseil Interprofessionnel des Vins du Roussillon). Son aire d’appellation englobe la majeure partie du vignoble roussillonnais – autant dire un véritable patchwork de terroirs : garrigue sauvage, terrasses de galets, crêtes pierreuses, combes fraîches.

Les Côtes du Roussillon, ce sont des vins d’assemblage, rouges principalement (près de 75 % de la production), ainsi que des blancs et rosés. Cette appellation sert, quelque part, d’introduction à la diversité du pays catalan – grande porte d’entrée vers toute la gamme des styles roussillonnais.

Côtes du Roussillon Villages : quintessence du caractère roussillonnais

Un cran supérieur en matière d’exigence de terroir et de style, Côtes du Roussillon Villages naît dès 1977 également, mais sa reconnaissance s’affermira surtout dans les années 1990. Ici, place à une aire d’appellation plus réduite : 32 communes seulement, toutes situées sur le piémont nord des Pyrénées, autour de l’Agly. Le découpage n’est pas anodin : ce sont, historiquement, les terroirs les plus recherchés pour leur capacité à donner des rouges corsés, charpentés et fins à la fois, avec un potentiel de garde bien supérieur à la moyenne régionale (Source : INAO).

À noter : seuls les rouges ont droit à la mention Villages (exit les blancs et les rosés).

Cépages, assemblages et secrets de cuverie : la recette de chaque AOC

La palette des Côtes du Roussillon

En mode Côtes du Roussillon, la règle, c’est l’assemblage méditerranéen. Pour les rouges :

  • Grenache noir
  • Syrah
  • Carignan
  • Mourvèdre

… sans oublier la poignée d’autres cépages traditionnels autorisés (Lladoner Pelut, Cinsault). L’AOC exige que les vins rouges soient composés d’au moins 3 cépages différents, dont aucun ne dépasse 80% de l’assemblage (INAO).

Pour les blancs : Grenache blanc, Macabeu, Marsanne, Roussanne et Vermentino, dont là encore l’assemblage donne des vins frais, ronds, parfois secrets (et surprenants à table).

Pour les rosés : On reste fidèle à la trame du sud, mais sur le fruit, la vivacité, les arômes de fraise, de grenadine et d’herbes sèches.

L’intensité des Côtes du Roussillon Villages : le rouge, et rien que le rouge

Si l’on pousse la porte des Villages, la recette change : la palette est plus resserrée, plus ambitieuse, plus précise. Le Grenache noir règne ici en maître, souvent accompagné de Syrah, Carignan, Mourvèdre.

  • Chaque assemblage doit comporter au minimum 2 cépages principaux, Grenache et/ou Syrah et/ou Mourvèdre représentant ensemble 70% de l’encépagement.
  • Le Carignan est limité à un maximum de 60% dans l’assemblage final.
  • Utilisation exclusive des cépages rouges traditionnels, rien d'autre.

Résultat : des vins toujours profonds, racés – parfois austères dans leur jeunesse, mais capables de se déployer après quelques années en cave, révélant des tannins soyeux et des arômes complexes de réglisse, fruits noirs, garrigue, tapenade.

Terroir, culture, style : ce qui donne le “goût Villages”

Une typicité forgée par la nature… et la main de l’homme

La distinction “Villages” n’est pas qu’une étiquette plus chic : elle consacre des terroirs bien spécifiques. Imaginez des coteaux abrupts, au sol de schistes, d’ardoises rouges et noires, où le vent souffle fort (la tramontane, on la connaît !), où les rendements sont minuscules (autour de 32 hl/ha contre 45 hl/ha pour la plupart des Côtes du Roussillon : source INAO), où la vigne plonge ses racines parfois centenaires.

Ces parcelles, souvent travaillées à la main, produisent des raisins très concentrés, qui donneront des vins plus puissants, plus denses, avec une fraîcheur et une minéralité remarquables. Le savoir-faire des vignerons fait le reste : élévage plus long, souvent sous bois, macérations prolongées, recherche de complexité sans renoncer au plaisir de boire.

Un style en héritage : force, élégance et caractère

  • Côtes du Roussillon rouge : généralement souples, fruités, généreux, ils peuvent se boire jeunes et conviennent très bien à la cuisine méridionale, de la grillade d’agneau au tian de légumes. Leurs arômes vont des fruits rouges croquants aux notes d’épices méditerranéennes.
  • Côtes du Roussillon Villages : plus structurés, plus puissants, souvent taillés pour la garde. A la dégustation, on retrouve une tension, une profondeur aromatique marquée (fruits noirs, sous-bois, olive noire, cacao), une longueur en bouche qui séduit les amateurs de vins de caractère.

Selon les sommeliers locaux, à l’aveugle, il n’est pas rare que l’on confonde un Villages à maturité avec un grand vin du Rhône sud – c’est dire le niveau de sophistication atteignable par ces cuvées (voir Revue des Vins de France numéro spécial sur le Roussillon 2022).

Sous-zones et crus : la galaxie Villages, une constellation de terroirs

Depuis 2005, cinq sous-appellations peuvent compléter la notion de Villages, en fonction de leur commune de production :

  • Caramany
  • Latour-de-France
  • Lesquerde
  • Tautavel
  • Les Aspres (depuis 2017, une dénomination géographique complémentaire du Côtes du Roussillon, pas Villages)

Chacun de ces crus imprime un style reconnaissable, d’autant plus affirmé que la parcelle et le vigneron sont attentifs aux nuances du sol, aux expositions, à l’âge des vignes.

Par exemple, Lesquerde est réputé pour donner des vins d’une rare tension, presque septentrionale – grâce à ses schistes et à son altitude (jusqu’à 350m), les vins y sont droits, vibrants, longilignes. À l’opposé, Caramany livre des rouges charnus, charpentés, avec une trame minérale distinctive, issue de ses granits et gneiss. Tautavel, portée par sa vallée abritée, propose des vins très solaires, gorgés de fruits noirs et d’aromates.

À noter que la mention du cru n’est jamais anodine sur une étiquette : c’est le gage d’une sélection parcellaire et d’un travail de haute couture dans la vigne comme au chai.

AOC Côtes du Roussillon ou Villages : pour qui, pour quoi, à quel moment ?

À chaque profil, son moment de dégustation

  • Les Côtes du Roussillon : vins du quotidien, parfaits pour découvrir la pluralité du Roussillon, idéals pour des moments de convivialité simples, un apéro-tapas, une viande grillée, l’été sous la tonnelle.
  • Les Côtes du Roussillon Villages : vins de garde, à déboucher pour une grande occasion, un plat mijoté, une belle pièce de viande, un canard aux olives. Ils supportent sans broncher quelques années de cave, se bonifient parfois pendant une décennie ou plus.

Les prix reflètent généralement cette hiérarchie, puisque la rareté des Villages et le soin apporté à leur élaboration impliquent un coût supérieur (comptez mini 8 à 10€ pour une bouteille de Villages contre 5 à 7€ pour un Côtes du Roussillon générique, source : cavistes locaux et Interprofession des Vins du Roussillon). Cela reste, d’un point de vue “plaisir/prix”, l’un des meilleurs rapports Qualité/Prix parmi les grands rouges français.

L’essence du Roussillon, entre accessibilité et caractère

En lançant ce match amical entre les Côtes du Roussillon et leurs Villages, le vignoble catalan prouve toute sa capacité à parler à tous : amateurs de fraîcheur, chercheurs de tanins, amoureux de gourmandise, chasseurs d’émotions. L’uniformité n’a pas sa place ici : c’est la pluralité, la générosité, la sincérité qui dominent.

Les AOC Côtes du Roussillon et Côtes du Roussillon Villages, ce sont deux entrées sur la carte d’un même pays. Les bouteilles – parfois encore confidentielles, jamais ennuyeuses – racontent chacune l’histoire d’un climat, d’une main, d’une pierre, d’une rencontre. Si la curiosité vous chatouille, ne restez pas spectateur : testez le comparatif en situation (un “Villages” jeune sur une côte de bœuf, un “Roussillon” frais en été sur vos tapas, vous nous en direz des nouvelles…). La meilleure différence, c’est toujours celle que l’on ressent dans le verre – et autour de la table.

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