Trésors cachés : les cépages oubliés du Roussillon, entre racines profondes et parfums d’avenir
05/06/2025
Ces cépages rares, qui survivent comme des témoins
Derrière le coup de cœur pour les grands classiques, un monde vibrant : celui des cépages dits “oubliés” ou “minorés”, dont certains ont frôlé l’extinction. Selon le recensement 2017 du Syndicat des Vignerons des Pyrénées-Orientales, moins de 2% des surfaces plantées dans le département sont aujourd’hui occupées par ces variétés rares ou locales (Vins du Roussillon). Une poignée de vignerons, guidés par l’instinct de la sauvegarde, perpétuent cette diversité. Parmi eux :
- L’Aspiran noir : varié tellement confidentiel qu’il ne subsiste plus que quelques hectares — moins de 5 en tout, particulièrement dans la vallée de l’Agly et le Fenouillèdes.
- Le Lladoner pelut : parent “velu” du Grenache noir, il a connu un net recul. Seuls quelques anciens l’ont gardé pour sa rusticité et son aromatique unique.
- Le Carignan gris : encore moins courant que le Carignan blanc, il ne couvre plus que des tracés morcelés, souvent chez des vignerons en biodynamie soucieux de sauvegarde.
- Le Macabeu gris : une mutation naturelle du Macabeu, à la robe cuivrée, rareté que l’on repère parfois dans de vieux rangs mélangés.
- Le Muscat d’Alexandrie : autrefois “le muscat du pauvre”, aujourd’hui star des vins doux naturels, mais aussi conservé sur pied pour ses qualités aromatiques exceptionnelles.
On pourrait citer encore le Morrastel-bouschet ou l’Alicante Bouschet, moins oubliés mais conservés par filiation et exigence de typicité, qui n’excèdent pas la centaine d’hectares dans tout le département (INRAE).
Rencontre avec l’héritage catalan
Il faut s’approcher du Canigó ou suivre les méandres fauves de la vallée de l’Agly pour découvrir des rangs où ces “anciens” tiennent toujours debout. C’est souvent chez des vignerons de villages comme Maury, Calce ou Saint-Paul-de-Fenouillet qu’on tombe sur ces raretés. Ici, le choix de la diversité du cépage n’est pas qu’une coquetterie d’étiquette : il relève du respect du vivant, d’une volonté de protéger le patrimoine rural.
- Certains domaines, comme le Domaine Gauby à Calce, maintiennent des pieds de Macabeu (dans toutes ses variantes) et de Carignan gris, vinifiés séparément ou en subtil assemblage pour préserver la complexité traditionnelle des blancs du Roussillon (source : Domaine Gauby).
- Du côté de Maury, on prête encore attention à l’Aspiran noir ou même à de très vieilles souches de Lladoner pelut, transmises de génération en génération – c’est la mémoire des grandes années d’avant-phylloxéra, où la résistance du cep importait autant que son rendement.
Variétés anciennes : histoire, oubli et renaissance
“On plante pour nos enfants”, disent certains vignerons catalans. Mais il y a un paradoxe : pendant des décennies, les cépages dits “améliorateurs” sont venus remplacer les souches jugées “anciens modèles”. Or, nombre de ces variétés rares — notées dans des inventaires du XIX siècle comme le , l’Espanenc ou le Picapoll — ont perdu du terrain au fil de la mécanisation et de la recherche de rendement.
- Aspiran noir : Ancien cépage originaire du Languedoc, mentionné dans les écrits dès 1780. Apprécié pour ses qualités en vin rosé ou clairet, il fut délaissé car peu productif et sensible au mildiou. Aujourd’hui, l’Aspiran noir connaît un timide retour grâce à quelques conservateurs de patrimoine comme le .
- Lladoner pelut : Parfois assimilé au Grenache noir (leur ADN diffère pourtant), il doit son nom à la fine pilosité de ses feuilles. Il tempère les effets des grosses chaleurs, fournissant moins d’alcool et plus de fraîcheur, à contre-courant des profils puissants dominants.
- Carignan gris : Mutation du Carignan noir au pellicule à peine rosée, il apporte finesse aromatique et acidité, idéal pour les vins de gastronomie et les blancs de garde. Son goût évoque la pêche, le fenouil sauvage, parfois l’amande amère.
Depuis la fin des années 2000, la tendance à la réhabilitation s’accélère — portée par une conscience écologique et le désir d’identité. Le Conservatoire Ampélographique du Roussillon, à Tresserre, multiplie les campagnes de sauvegarde depuis 2008, contribuant au retour expérimental de cépages quasiment disparus (France Bleu).
Pourquoi préserver ces cépages rares ?
- Biodiversité et résilience climatique : Les cépages anciens offrent souvent une résistance bien supérieure à la sécheresse ou à certaines maladies, comparée à celle des variétés sélectionnées au XXe siècle (Source : INRAE). Par exemple, le Lladoner pelut tolère mieux le stress hydrique.
- Identité gustative : Ils confèrent aux vins une signature distincte, une nervosité et une fraîcheur qui dénotent face à l’uniformisation des goûts.
- Valeur patrimoniale : Planter ou préserver l’Aspiran noir ou le Carignan gris, c’est replanter une page d’histoire locale, presque familiale.
Ce mouvement de sauvegarde n’est pas un caprice nostalgique : il répond aussi à un défi très contemporain. La montée des températures pousse les vignerons à chercher ailleurs que dans les variétés “internationales” ou high-tech. Or, souvent, le salut passe par ces vieilles vignes, qui ont développé au fil des décennies une adaptabilité précieuse.
Anecdotes et expériences de dégustation
- L’Aspiran noir offre au nez des notes de violette, de groseille, une bouche aérienne qui surprend dans des rosés élégants ou des rouges de soif, que l’on trouve parfois chez quelques vignerons de l’Agly lors d’événements comme le “Printemps du Pays Catalan”.
- Le Carignan gris, lui, se livre dans des blancs d’une tension rare, longue persistance, minéralité saillante, loin des standards riches du sud. Certains domaines l’élèvent en amphore pour accentuer son profil fuselé.
- Lladoner pelut intrigue par ses arômes de fruits mûrs, réglisse, menthol et tapenade ; en assemblage, il complexifie les rouges de Maury, les rendant moins lourds.
- Le Macabeu gris se déguste en macération pour un vin presque orange, à la fois écorce, thé noir et églantine. Un ovni que quelques initiés gardent sur leurs cartes “hors normes”.
Plusieurs bars à vins et caves de Perpignan ou Collioure (comme ou ) proposent périodiquement à la dégustation ces singularités, pour qui sait demander.
Où découvrir des vins issus de cépages rares du Roussillon ?
- Domaine de la Coume del Mas (Banyuls) : Quelques vieilles parcelles de cépages gris.
- Domaine du Clos des Fées (Vingrau) : Recherche constante d’authenticité, micro-vinifications des vieux Grenaches, Carignans et Lladoner pelut.
- Domaine de l’Horizon (Calce) : Expérimentations autour du Macabeu gris.
- Domaine Sébastien Agelet (Le Soula, Fenouillèdes) : Préservation du Carignan gris et autres variétés autochtones.
À la Maison de la Vigne et des Cépages de Baixas, il est possible sur rendez-vous de découvrir des micro-parcelles conservatoires et d’en apprendre davantage sur l’histoire ampélographique de la région.
Les cépages rares, messagers d’un vivant plus vaste
Le Roussillon, ce coin gagné sur la Méditerranée, ne se contente pas de préserver ses cépages rares : il leur insuffle une deuxième vie. Chaque vin issu de ces vieilles vignes relève de l’inédit, questionne les acquis, interpelle le palais avec l’accent rocailleux du paysage. Déguster un Aspiran noir, un Carignan gris ou un Lladoner pelut, c’est s’offrir une poignée de décennies oubliées, dans l’espoir que demain, le livre ne se refermera pas sur ces saveurs ni sur ceux qui les portent encore haut.
L’avenir du vignoble catalan passe peut-être par l’humilité de ces cépages rares — et la promesse renouvelée de vins sincères, profonds, faits pour durer autant que pour émouvoir.
Pour aller plus loin
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- Roussillon côté vignes : voyage au cœur des cépages et appellations singuliers
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