Plongez dans l’univers puissant et lumineux des vins de Maury

Entre les arêtes soudaines des Corbières, les montagnes schisteuses et les vallons caressés de soleil, il y a un Roussillon qui ne s’exprime qu’au détour d’un coude de rivière : Maury. À mi-chemin entre Perpignan et les portes de l’Aude, ce village donne son nom à l’une des plus belles interprétations du vin doux naturel. Un paysage minéral, de roches brisées, de garrigue sèche et de vignes courageuses qui plongent leurs racines dans la terre noire. Ici, depuis le XIIIe siècle, on apprivoise le fruit, on le magnifie, on le porte à une dimension d’équilibre rare.

Parler de Maury, c’est raconter une histoire de patience et d’audace. Si le vin doux naturel a trouvé sa technique fondatrice à l’aube du XIVe siècle – quand Arnaud de Villeneuve, savant catalan, affine le principe du mutage (cette opération décisive qui consiste à ajouter de l’alcool sur le moût, stoppant ainsi la fermentation) – Maury n’obtiendra l’AOC qu’en 1936, parmi les toutes premières reconnues en France (source : Institut National de l’Origine et de la Qualité - INAO).

L’appellation a pu s’appuyer sur des siècles de méthode et sur une identité farouche : sur des coteaux parfois arides, des ceps que l’on plie mais que l’on ne rompt pas, et des familles ancrées depuis des générations.

Le vignoble de Maury, c’est 870 hectares (dernier chiffre INAO 2022) qui s'accrochent aux flancs des Fenouillèdes, sur des sols schisteux très noirs, où le vent balaie tout, où la vigne se fait petite et tenace.

• Altitude : entre 100 et 400 mètres, favorisant des maturations lentes et une fraîcheur préservée.
• Exposition : dominateur Sud-Est, mais suffisamment d’angles pour jouer sur les styles.
• Sol : schistes bruns, noirs ou gris, parfois mêlés à des marnes calcaires – un terrain de jeu rêvé pour la minéralité.

Ces conditions climatiques extrêmes – plus de 2 400 heures de soleil annuellement, des précipitations limitées à 500 mm par an (source : CIVR) – façonnent des vins d’intensité, profonds, incomparables.

Au cœur des vins doux naturels de Maury, le cépage grenache noir règne en monarque. Il représente plus de 90% de l'encépagement destiné aux vins doux naturels (source : CIVR).

• Grenache noir : reflets rubis sombres et nez de chocolat, fruit noir, pruneau, parfois laurier – il donne tout son charme au Maury.
• Grenache blanc et gris : sur des parcelles réservées aux cuvées blanches de plus en plus rares.
• Macabeu, carignan, syrah : autorisés, mais tenus en retrait, pour des variantes confidentielles ou pour la richesse aromatique subtile.

La grande famille des Maury s’exprime à travers ce cépage caméléon, capable de transcender le fruit exubérant ou la concentration profonde, selon l’orientation du terroir, la main du vigneron, l’âge du vin.

Ce qui rend le Maury unique, c’est donc ce geste ancestral : le mutage sur grains. On interrompt la fermentation en ajoutant de l’alcool vinique neutre à 96%, généralement en proportion de 5 à 10% du volume total. Cette opération, inspirée du Rivesaltes voisin, a été perfectionnée ici pour préserver la richesse naturelle des baies tout en gardant leur éclat fruité.

Le Maury est alors élevé en cuve, en fûts, ou parfois en bonbonnes de verre exaltées au soleil (« vin de rancio », pour donner ces notes de noix ou de café !), avant d’être embouteillé.

• Maury Grenat : fruité, intense, produit à partir de grenache noir, élevé moins d’un an. À ouvrir sur un chocolat noir ou une tarte aux griottes.
• Maury Tuilé : élevé minimum deux ans sous bois ou en bonbonnes, il tire sur des notes de figue, de fruits très mûrs, d’épices séchées.
• Maury Hors d’Âge : vieillissement d’au moins cinq ans, souvent vingt ou trente ans chez les meilleurs faiseurs. On touche alors l’infini des vieux vins : cuir, fruits secs, tabac blond.
• Maury Blanc : grenache blanc ou gris majoritaires, en expression fraîche ou oxydée. Plus confidentiel, mais fascinant!

Depuis 2011, l’AOC Maury couvre aussi des vins secs, riches et marqués par le relief, mais, ici, c’est le vin doux naturel qui reste le grand ambassadeur du village.

Le Maury ne se résume pas à « l’invité du dessert ». Toute la magie est là : il sait sortir des sentiers battus. Que ce soit au salon ou sur une grande table, il se faufile partout :

• Chocolat noir 70-80% : le compagnon rêvé du Maury Grenat, qui renforce la trame fruitée tout en domptant l’amertume.
• Canard aux cerises ou au cacao : en sauce ou confit, le Maury “tuilé” vient souligner le sucré-salé et prolonger le jus.
• Fromages bleus : roquefort, fourme d’Ambert – leur force s’accorde à la douceur et l’intensité du vin.
• Tapas méditerranéennes : anchois de Collioure, grillons d’agneau, olives noires – le sucre du Maury fait contrepoint, réveille la palette.
• Pâtisseries orientales : baklavas, cornes de gazelle, makrouds – testez, l’accord est évidencé.

Astuce locale : servez le Maury un peu frais (autour de 12-14°C pour les rouges jeunes, 10°C pour les blancs), dans un grand verre. L’aération lisse les arômes, étire la finale, donne envie de croquer dedans.

Maury, c’est aussi une poignée de domaines, de caves coopératives et de néo-vignerons qui aiment sortir des rails. Parmi les figures historiques :

• Domaine Mas Amiel : pionnier du renouveau, célèbre pour ses bonbonnes exposées en plein air ; son Maury 1969 est mythique.
• Domaine des Terres de Fagayra : finesse et fraîcheur maîtrisée, équilibre rare sur le « tuilé ».
• Domaine La Coume du Roy : un des plus beaux héritages familiaux (160 ans), collection de vieux millésimes.
• Les Vignerons de Maury : cave coopérative, moteur collectif, créations modernes et accessibles.

À Maury, certains viticulteurs structurent aujourd’hui leur exploitation en agriculture biologique (environ 35% du vignoble selon le CIVR / INAO), et tentent des expériences de vinification naturelles, ou des assemblages inspirés. La jeunesse pousse, la tradition ne s’endort pas. 

Les vins doux naturels de Maury, ce ne sont pas seulement des cuvées à garder vingt ans dans le placard. Ce sont, depuis plusieurs millésimes, des vins à oser très jeunes comme très vieux, à sortir lors d'un apéro entre copains face à la garrigue ou à redécouvrir sur un plat d’hiver, à table. Ils racontent la force d’un paysage, la main des hommes et des femmes qui osent la douceur sans facilité, et la capacité du Roussillon à toujours surprendre.

Sources : INAO, CIVR, Vins du Roussillon, « Vins doux naturels de Maury » (Éditions Sud-Ouest), « La magie du Maury » (La Revue du Vin de France).

Et si découvrir Maury, c’était offrir à son verre une fenêtre sur la lumière du Sud ? À explorer, sans modération.