Roussillon nature : les domaines qui réinventent le vin sans artifice

18/06/2025

Pourquoi la vinification naturelle trouve un écho si vif en Roussillon ?

Le Roussillon, c’est un climat à part : plus de 300 jours de soleil par an, des sols d’une mosaïque rare (schistes, argiles, cailloux roulés, marnes noires…), une grande diversité de cépages (Grenache, Carignan, Macabeu, Muscat, etc.), l’influence des montagnes et de la Méditerranée. Mais surtout, une terre d’hommes et de femmes attachés à leur liberté. Ici, l’agriculture à petite échelle n’est pas qu’une tendance : c’est une question de survie pour beaucoup d’exploitations.

La vinification naturelle – sans ajouts de produits chimiques, sans levurage artificiel, sans chaptalisation ni filtration excessive – s’est imposée à certains comme une réponse cohérente à ce terroir d’expressivité brute. À l’aube des années 2000, une vague de jeunes vignerons, parfois étrangers ou hors cadre familial, s’installent et dynamitent les codes. Leur philosophie ? Diminuer les intrants au strict minimum pour laisser parler le raisin, la terre, l’année. C’est ici, dans l’ombre des Corbières ou au cœur des Aspres, que les premiers vins libres du Sud voient le jour.

  • Premier fait marquant : En 2022, selon l’INAO et Interbio Occitanie, près de 26,8 % des surfaces viticoles du Roussillon sont certifiées bio ou en conversion, soit presque deux fois plus que la moyenne nationale.
  • L'essor du nature : Même si la filière n’a pas de chiffres officiels sur le « nature », on recense aujourd'hui une cinquantaine de vignerons qui s’engagent dans une démarche de vinification naturelle dans la région (Source : Association des vins S.A.I.N.S).

Les pionniers : ces domaines qui ont ouvert la voie

Le Casot des Mailloles : poésie rebelle à Banyuls-sur-Mer

On ne peut évoquer les origines du mouvement nature en Roussillon sans raconter l’histoire du Casot des Mailloles. Fondé par Alain Castex et Ghislaine Magnier dans les années 1990, petit domaine de 5 ha enlacé par les schistes de Banyuls. Dès l’origine, ce tandem travaille sans produits de synthèse, vendange à la main et prescrit les interventions minimales au chai – sans collage, ni filtration, ni soufre ajouté.

Leur cuvée « La Petite Baigneuse » ou encore les Banyuls secs épicés sont devenus iconiques, appréciés des « caves nature » du monde entier. Après leur départ en 2015, Jordi Perez perpétue l’esprit de ce domaine, continuant d’accorder de l’importance au geste et à la vie du sol.

  • Surface : environ 5 hectares
  • Travail intégralement manuel sur des pentes abruptes
  • Production confidentielle, recherchée dans tout Paris comme à Tokyo

Les Foulards Rouges : le souffle du renouveau à Montesquieu-des-Albères

Jean-François Nicq débarque du Beaujolais à la fin des années 90 et, très vite, imprime une marque indélébile. Au rythme du vent, il convertit ses vignes à l’agriculture biologique, se lance dans les macérations carboniques, refuse la correction des moûts et limite le soufre à l’extrême, souvent sous les 10 mg/L.

On retient ses cuvées décalées : « La Soif du Mal », « Frida » ou « Le Fond de l’Air est Rouge », qui incarnent la fraîcheur, le fruit nu dans le verre. Pionnier du sans-soufre ajouté, il milite aussi pour la reconnaissance de ces vins hors cadres (Millésime 2015 élu dans les top 10 des vins de soif nature par « Le Rouge & Le Blanc »).

  • 18 hectares en bio à Montesquieu-des-Albères
  • Carafez les rouges jeunes pour profiter de leur énergie !

Domaine Matassa : la voie du “Less is more” signée Tom Lubbe

Néo-Zélandais élevé en Afrique du Sud, Tom Lubbe s’installe à Calce en 2001. Son domaine, Matassa, devient très vite le porte-étendard d’une viticulture de la non-intervention – et l'un des premiers du Roussillon à obtenir la certification Bio dynamique Demeter ici. Ni collage, ni filtration, ni intrants (si ce n’est parfois un soupçon de soufre en embouteillage), et surtout une gestion ultra-précise de la maturité des raisins.

Cépages autochtones, vieilles vignes, jamais plus de 12 % vol pour des vins éclatants de nerf, ce qui n’était pas évident sous ce soleil : c’est ça, le style Matassa. Les cuvées « Blanc », « Olla » ou « Romanissa » sont à chaque fois une leçon de finesse sudiste.

  • 16 hectares certifiés Bio (et Biodynamie Demeter)
  • Référence mondiale : exportée à plus de 70 % hors France (Source : Drink Business 2022)

Gérard Gauby, l’inspirateur discret

Impossible de ne pas mentionner Gérard Gauby (Domaine Gauby, Calce), souvent cité comme la voie inspiratrice de toute une nouvelle génération. Longtemps en bio, puis en biodynamie, il croit en la vitalité du sol, la modération sur tout ce qui n'est pas le raisin, la faible sulfitation (jamais plus de 20 mg/L). Même si Gauby ne revendique pas forcément l’étiquette « nature », son influence est telle que beaucoup de jeunes vignerons passés chez lui ont ensuite choisi d’aller vers le sans aucun intrant.

  • 31 hectares en bio certifié, dont la majorité sur des schistes de Calce
  • L’une des meilleures tenues à l’export du Roussillon : 50 % des vins vendus hors frontières (La Revue du Vin de France)

Des outsiders à suivre : nouvelles générations, nouvelles audaces

  • Les Enfants Sauvages (Cécile et Michael Goeffroy) à Fitou – Depuis 2001, 8 hectares bio, vendanges tout à la main, vins non sulfités croquants. À goûter : la cuvée “Nous”, éclatante de fruits rouges.
  • Le Pech égréné (Gérald Standley) à Paziols – Ancien sommelier installé sur 6 ha depuis 2017, il produit quelques-unes des plus belles Syrah sans artifices du coin. À goûter : “Petit Taureau”.
  • Vinyer de la Ruca (Emmanuel Cazes) sur les pentes de Collioure – 1,5 ha de vignes cultivées à la pioche, aucun ajout, des vins ciselés, mystérieux, en quantités minuscules.
  • Le Bout du Monde (Edouard Laffitte) à Lansac – Vins joueurs, parfois déconcertants, pour amateur de sensations brutes.

Quels gestes, quelles pratiques pour un vin réellement naturel ?

Travailler « nature » ne se limite pas à bannir le soufre. Dans les meilleurs domaines cités, on retrouve souvent un socle de pratiques communes :

  1. Le retour au sol vivant : labour raisonné, compost maison, pas d’engrais chimiques, travail avec les cycles lunaires ou les semis d’engrais verts.
  2. Récolte à la main, à maturité juste : pour garantir l’intégrité des baies, parfois tôt le matin pour préserver la fraîcheur.
  3. Fermentation spontanée sur levures indigènes, parfois en grappes entières, parfois partiellement éraflée selon la cuvée.
  4. Pas de retrait ou ajout : ni ajout de sucre, ni acidification, ni filtration agressive. Les seuls gestes possibles : un léger sulfitage à la mise, parfois une clarification naturelle.

Il existe une association nationale (S.A.I.N.S) qui recense les producteurs respectant une charte précise : ni intrant, ni manipulation. En Roussillon, plusieurs des domaines cités y figurent.

Une reconnaissance (enfin) nationale et internationale

Le Roussillon, longtemps marginalisé dans le débat sur les grands vins de France, tient aujourd’hui un rôle moteur dans le mouvement nature :

  • Niveau national : De plus en plus de références dans des guides spécialisés « vins vivants » (Guide des Vins Vivants ; Le Vin de France…), et à la carte des grandes caves parisiennes (« La Cave à Michel », « Septime La Cave », etc.)
  • L’export, locomotive forte : Les grands restos de Tokyo, Brooklyn ou Copenhague s'arrachent les quilles de Matassa, Casot, Les Foulards Rouges (source : Le Monde, octobre 2021).
  • Marchés émergents : Les ventes vers le Japon, les États-Unis et la Scandinavie représentent parfois jusqu’à 70% du chiffre d’affaires pour les meilleurs domaines (Drink Business ; Vitisphere juillet 2022).

Difficile d’oublier les mots de Tom Lubbe qui, lors d’une conférence à Vinisud en 2019, rappelait : « Le vin naturel, c’est comme un accent dans la bouche, il raconte d’où tu viens. Ici, le nôtre sent le soleil, la pierre et le vent ».

État du marché & ouverture

Aujourd’hui, les vins naturels du Roussillon sont demandés bien au-delà du cercle des initiés. Ils illustrent une autre idée du progrès : ni fuite en avant, ni nostalgie, mais l’envie de raconter ce coin de sud à voix nue, sans filtre. Pour qui veut sentir battre le cœur du pays catalan, il n’y a guère meilleure boussole que la bouteille d’un de ces pionniers – à boire lentement, si possible avec la main du vigneron pas loin.

Les jeunes vigneronnes et vignerons, les nouveaux installés comme « Les Vins du Loup » ou « Les Clôtures », continuent de faire bouger les lignes. Et la table suit la cave : le Roussillon nature se déguste de l’apéro au dessert, dans une cuisine qui va droit au goût. Rendez-vous dans les prochains mois pour explorer de nouveaux terroirs, de nouvelles signatures… et, sûrement, de nouveaux coups de cœur !

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